Pour pallier le silence des pouvoirs publics, la CGT santé a lancé une vaste consultation des personnels médicaux pour évaluer les pénuries d’équipements et leurs conséquences. Selon le syndicat, au moins 12 000 salariés auraient été contaminés.

Combien de soignants ont-ils été contaminés par le Sars-CoV-2 ? Combien sont-ils tombés malades ? Combien en sont morts ? De quelles protections avaient-ils pu bénéficier ? La préoccupation devrait être centrale pour les autorités, mais depuis deux mois, aucun chiffre officiel ne vient répondre à ces lancinantes questions. « Depuis le début de la crise, on a demandé des informations précises sur les dysfonctionnements ou le manque d’équipements de protection, explique Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT santé et de l’action sociale. O n avait réclamé des réunions hebdomadaires avec les ministres, on n’en a obtenu qu’une. Alors, on a décidé de faire notre propre enquête. » La CGT a sollicité tous les syndicats du secteur, afin de mesurer l’état des dégâts pour les 550 000 agents des hôpitaux, des cliniques, des Ehpad ou des établissements sociaux. Deux salves de questionnaires ont été envoyées, du 30 mars au 16 avril, puis du 20 au 27 avril. Et les premiers résultats, présentés lundi, sont alarmants. D’autant que la sortie progressive du confinement, le 11 mai, approche à grand pas et que les hôpitaux sont toujours sous-équipés. « On nous dit que d’ici une semaine, les écoles, les entreprises auront des masques, mais plusieurs services hospitaliers n’en ont toujours pas », insiste Philippe Crepel, responsable de l’espace revendicatif de la CGT santé.

Une pénurie à tous les niveaux
C’est ce qui saute en premier aux yeux. 64 % des syndicats, dans des établissements représentant 83 % des personnels, font état de pénurie de matériels de protection. Situation qui s’est encore aggravée dans les zones rouges au 27 avril. 31 % affirment qu’aucun masque n’est à disposition, un autre tiers qu’ils n’ont que des masques chirurgicaux, non adaptés. « Certaines régions manquent plutôt de surblouses, d’autres de masques ou de lunettes, précise Laurent Laporte, secrétaire général de la CGT-UFMICT (médecins et cadres hospitaliers). La politique de gestion régionalisée des risques, parfois établissement par établissement, montre bien l’incapacité d’une réponse nationale au Covid. » Principalement fabriqué en Chine, ce matériel a vu sa production stoppée dans la province de Wuhan, avec des répercussions qui durent encore. Plus de la moitié des établissements de soins n’ont toujours pas accès facilement aux tests de dépistage. Et les petites structures médico-sociales en sont toutes dépourvues. La pénurie touche aussi directement les patients, qui souffrent du manque de respirateurs, mais aussi de certains médicaments, en particulier de curare, lui aussi importé de Chine. Un quart des syndicats pointe des manques, un autre quart ne peut pas répondre, à cause de l’omerta entretenue par la direction.

« L'engagement du personnel permet de fonctionner avec 15 à 20 % de postes vacants »
Au silence du gouvernement répond en effet celui des dirigeants des établissements de soins. La proportion des syndicats qui se retrouvent dans l’incapacité de répondre à certaines questions de l’enquête est une information en soi. C’est marquant sur l’état de la pénurie, mais cela l’est encore plus sur le suivi des salariés contaminés ou fragiles. 40 % des syndicats ne savent pas, par exemple, si leurs collègues infectés par le Covid dans le cadre de leurs fonctions ont été reçus par la médecine du travail, et 30 % sont sûrs que ce n’est pas le cas.
« Il n’y a plus eu que des réunions d’information, sans négociation, ni procès-verbaux », déplore Laurent Laporte. C’est ainsi que le temps de travail a été unilatéralement augmenté, que les plannings ont été chamboulés, des RTT et congés payés effacés, donnant aux soignants l’impression de payer doublement la crise. Même dans les départements très peu touchés par l’épidémie, les directions en ont profité. « Cet engagement du personnel permet de fonctionner avec 15 à 20 % de postes vacants, soupire Laurent Laporte. Pourtant, on sait très bien que le passage de 8 à 12 heures de travail a des conséquences pour la santé des agents, mais aussi sur le suivi des patients, car il n’y a plus d’échanges d’une équipe de soin à l’autre. »

Mise en danger des soignants et des patients
Au 27 avril, environ 12 000 personnels soignants étaient symptomatiques, contaminés par le Covid. Un chiffre clé, probablement « en dessous de la réalité », selon Mireille Stivala. Ils étaient 6 600 le 16 avril, 2 746 le 6 du mois. Dans la même période, entre le 6 et le 27 avril, le nombre de soignants décédés recensés est passé de 1 à 10. « Mais il y en a forcément beaucoup plus. Rien que chez les médecins, on en a comptabilisé douze », relève Astrid Petit, sage-femme à l’AP-HP et déléguée de la CGT santé. Selon le syndicat, la proportion de soignants contaminés serait « onze fois supérieure à celle de la population générale ». Les services infectieux dédiés au Covid, les urgences et la réanimation seraient les plus touchés. Pour les personnels, les infirmières seraient en première ligne, suivies des aides-soignant(e)s, médecins et du personnel de ménage.
L’enquête de la CGT lève un autre lièvre inquiétant. Des soignants contaminés et contagieux continuent de travailler auprès des patients. « Début avril, 10 % des syndicats étaient sûrs que dans leur établissement, des collègues atteints du Covid étaient maintenus en service. C’est même monté à 16 % à la fin du mois et à 25 % dans les grands hôpitaux », déplore Astrid Petit. De partout, les témoignages affluent. Certains doivent reprendre au bout de 3 ou 5 jours d’arrêt, alors qu’ils sont encore à plat. Des cadres ont ordonné aux infirmières : « Tant que tu tiens encore debout, on te donne un masque et tu viens travailler », parce qu’il n’y a pas de personnel pour les remplacer. »

Des plaintes déposées
Diverses plaintes ont été déposées. Pour mise en danger de la vie d’autrui, du personnel ou absence de matériels de protection… Elles ciblent le ministère ou les directions locales. « Le recours en justice n’est pas notre priorité aujourd’hui, mais on commence à compiler des informations, des documents, affirme Philippe Crepel. Quand on voit la multiplication des exemples de soignants obligés de venir travailler avec des symptômes, à un moment donné, il faudra demander des comptes. »

Huma